Astrid était à cet instant précis la femme la plus heureuse. Il ne lui fallait pas grand chose, elle venait simplement de tomber sur une annonce pour un job de vendeuse dans une boutique spécialisée dans les robes de mariage. Si chaque semaine, elle avait un rêve différent en ce qui concerne sa carrière, cette annonce lui semblait désormais être une évidence. Elle voulait ce boulot. Après avoir fait les démarches nécessaires, elle avait obtenu un rendez-vous, pour le lendemain. Tout devait donc être parfait pour ce jour. Rien ne devait venir la déranger ou la perturber. Astrid devait empêcher la malchance de jouer avec elle demain. Elle allait régler les problèmes avant qu'ils n'arrivent. La jeune femme avait pris le temps de choisir sa tenue, le lendemain, elle ne se mettrait pas en retard pour ça. Elle mettait même en marche plusieurs réveils, ne doutant pas que la malchance pouvait la frapper à n'importe quel moment, elle se montrait prudente. Son réveil pouvait tomber en panne, le deuxième aussi. Donc un troisième réveil et son portable n'étaient pas de trop. Oui, elle avait trois réveils parce qu'elle connaissait son habitude de les faire tomber en essayant de les éteindre, elle avait donc juste pris les devants et elle en avait acheté plusieurs. Bref, tout était prêt la veille, pour son rendez-vous du lendemain après-midi.

La voilà prête, et même à l'heure sur le lieu du rendez-vous. Depuis ce matin, il ne lui était encore arrivé aucun problème. C'était presque de l'ordre du miracle une journée comme celle-ci. Elle était comme une enfant qui rêvait dans cette boutique. Il lui fallait ce poste. Elle n'avait pas le choix, elle devait être parfaite lors de ce fameux rendez-vous. Astrid en était même arrivée à parler toute seule, priant elle ne sait quoi ou qui de ne pas être malchanceuse ou maladroite aujourd'hui. La chance devait lui sourire pour une fois. Juste une fois. L'heure du rendez-vous approchait. Elle attendait patiemment qu'on vienne la chercher, essayant de réviser ce qu'elle devait dire. Astrid n'était pas douée pour tout ça, elle avait tendance à parler ou à agir sans réfléchir. Là, elle devait se contrôler, rien de plus difficile pour elle.

La boutique sentait encore le neuf en cet après-midi ensoleillé. La peinture était encore fraîche à certains endroits de l'immense pièce constituant la majeure partie du magasin mais Camelia ne pouvait plus attendre: il lui fallait absolument un salaire et donc, il lui fallait ouvrir. Mais seule, gérer cette boutique se serait révélé tout simplement impossible. Entre couture, essayage, maquillage, coiffage, trésorerie ... Non. Elle ne pouvait pas se permettre d'endosser tous ces rôles, surtout qu'elle n'avait pas les qualifications requises pour la plupart de ces activités. Une annonce dans le journal s'était révélée profitable puisqu'un certaine Astrid Barker était intéressée pour un poste dans la boutique. Celui de vendeuse, plus précisément. Et Camelia devait la recevoir dans l'après-midi. Bizarrement, la jeune femme n'était pas très sûre d'elle pour une fois. C'était la première fois qu'elle montait une entreprise et elle se demandait si elle avait les épaules assez larges pour supporter la masse de travail qu'elle allait devoir endosser. Elle se demandait aussi si elle saurait adopter la bonne attitude auprès de ses employées, si elle saurait faire les bons choix le moment venu et si elle aurait une autorité suffisante.

Elle leva la tête et la secoua pour tenter de chasser les doutes qui commençaient à se faire nombreux à l'intérieur de son esprit et remarqua une jeune femme assise dans un des fauteuils du magasin. Elle ne l'avait même pas entendue entrer ... ou alors, la sonnette était cassée. En tout cas, elle se dirigea vers cette inconnue. Ses cheveux roux contrastaient avec la pâleur de sa peau mais ses yeux noisettes la perçait, profonds mais pleins d'éclats. Fine, elle paraissait grande. Sa tenue était simple mais élégante et finalement, convenait parfaitement dans le milieu dans lequel elle postulait. Camelia jeta un coup d’œil au registre du magasin qu'elle tenait dans les mains et lut le nom à haute voix et fixant la jeune femme. Une voix à la fois douce mais convaincante: « Astrid Barker ? ».

Astrid était de plus en plus stressée. Elle révisait ce qu'elle devait dire, mais elle ignorait comment était la personne face à qui elle allait se retrouver. Il lui était donc difficile, pour ne pas dire impossible, de prévoir tout à l'avance. Astrid s'était assise, attendant patiemment qu'on vienne la chercher. Elle regardait autour d'elle. Le magasin était neuf, tout semblait nouveau ici, on sentait encore l'odeur de la peinture fraichement posée sur les murs. Elle s'y voyait déjà, elle aimait déjà cet endroit.

Celle qui devait être propriétaire de cette boutique venait de sortir d'un bureau et avait prononcé le nom d'Astrid. Elle relevait les yeux, observant la personne qui se trouvait près d'elle. Elle ne semblait pas bien méchante, même plutôt sympathique, c'était toujours ça. Astrid se sentait tout de suite mieux, même si elle ne pouvait s'empêcher d'être angoissée à l'idée de se retrouver face à quelqu'un qui allait la juger pour savoir si elle pouvait occuper le poste qu'elle désirait. Astrid s'approchait de la personne, elle hésitait une seconde. Devait-elle tendre la main ? Ou attendre que l'autre personne le fasse ? Elle tendait alors la main à la personne en face, cessant de réfléchir à ces détails. « J'ignorai si je devais attendre ou vous faire savoir que j'étais arrivée, donc ne sachant si vous étiez occupée ou non, j'ai préféré attendre au cas où... » Tais-toi Astrid, tais-toi ! En effet, Astrid ignorait ça, mais avait-elle besoin de le préciser ? Ou de parler autant, d'ailleurs. « Je vous remercie d'avoir accepté de me recevoir. » Astrid parlait peut-être trop, elle ignorait comment elle devait se comporter dans ce genre de situation. Alors, elle arrêtait là, elle se taisait. Désormais, elle attendrait que la propriétaire des lieux lui pose une question.  

Camelia avait toujours adoré les entretiens d'embauche quand elle n'avait pas encore sa propre affaire. Elle aimait se dévoiler, mettre en avant son potentiel et attirer l'employeur avec des phrases bien tournées et une jupe courte. Elle n'avait jamais été recalée: tous les entretiens qu'elle a passé au cours de sa vie se sont montrer concluants. Mais les faire passer à quelqu'un d'autre, c'était autre chose. Il fallait mettre la personne en confiance, la déstabiliser discrètement afin de voir comment est-ce qu'elle se sort d'une situation unique, lui poser des questions précises et qui en révèlent beaucoup sur sa vie, ... Elle n'avait jamais vraiment fait ça. Mais rien qu'à l'allure, cette jeune femme qu'elle avait devant elle avait un potentiel unique, elle le savait. Discrète mais finalement, présente puisqu'elle l'avait remarquée sur le fauteuil sans même avoir eu à lever la tête, même si la candidate était entrée sans un bruit.

« Tout va bien, ne vous en faites pas. » répondit Camelia d'une voix douce et rassurante, presque maternelle. Finalement, cette Astrid semblait-elle un poil incertaine ? Ne manquerait-elle pas de confiance en elle ? En tout cas, Camelia préférait une employée qui se confond en excuse plutôt que le manque de respect. Quelque chose qu'elle ne tolérait absolument pas dans la vie, et encore plus dans son propre magasin: « Suivez-moi. ». Camelia emmena la jeune femme au fond de la boutique, dans une petite pièce composée d'un plan de cuisine avec un micro-onde et un évier, d'un frigo, d'une machine à café, d'un simple table et quelques chaises. La salle de repos, dans laquelle les employées prenaient leurs pauses, se détendaient quelques minutes avant de reprendre le travail. Elles s'assirent l'une en face de l'autre et Camelia attrapa un calepin et un stylo qui reposaient là, sur le coin de la table: « Donc, mademoiselle Barker ... Quelles sont vos motivations pour ce poste de vendeuse ? ». Un question simple, toute prête mais dont la réponse allait changer absolument tout le fil de l'entretien. La candidate avait intérêt à bien répondre.